Pourquoi faut-il lutter contre la pauvreté à Marseille ?

Les écrits sur la pauvreté à Marseille sont nombreux et se limitent tous à la description d’un état des lieux suivi de propositions visant à lutter contre les inégalités. Pour de nombreux marseillais le choix politique de faire de la lutte contre la pauvreté un enjeu prioritaire, génère des peurs irraisonnées que ce choix soit dommageable au reste de la population ou au détriment de la qualité de vie de tous les marseillais dans leur ville. J’ai donc souhaité, en m’adressant plutôt à cette tranche de population, exposer comment l’aide apportée aux plus démunis est aussi bénéfique pour tous.

Oui, traiter la question sociale comme une priorité profitera à tous les marseillais. Au-delà de la question éthique, combattre les inégalités est aussi un enjeu pour l’économie d’une ville, sa cohésion sociale et sa vie démocratique.

Sécurité

Le sentiment d’injustice sociale crée un sentiment de frustration qui alimente les tensions au sein de la ville. Les fortes inégalités ont donc tendance à faire grimper le taux de criminalité : « Dans une ville où les revenus sont majoritairement très bas, le coût d’opportunité d’un acte violent, un vol par exemple, sera plus bas et le gain espéré plus élevé », constate Anda David, économiste, en charge à l’AFD, de programmes de recherches sur les inégalités, la pauvreté et les migrations internationales.
Une politique globale de lutte contre les inégalités tend à apaiser les tensions et à faire baisser la délinquance en recréant notamment des possibilités d’insertion chez les personnes qui sont éloignées de l’emploi. Elle doit donc systématiquement intégrer des actions sur l’accès à l’emploi passant par la mise en place ou le soutien de différents dispositifs spécifiques comme « Territoires zéro chômeurs de longue durée » auquel Marseille a candidaté, ainsi que le traitement de thèmes transversaux comme les transports par exemple.
De nombreuses municipalités en France mettent en place des initiatives locales créatives en faveur de l’insertion des personnes éloignées de l’emploi :

Economie

La baisse de la pauvreté est bénéfique au développement économique de la ville :
Travailler sur la formation et l’insertion des jeunes marseillais permettra la constitution d’un vivier employable attractif pour les entreprises.
Moins de chômage génère plus d’impôts locaux pour la ville et plus de consommation.
La baisse de la pauvreté contribuant à apaiser une ville, elle favorise le tourisme et l’implantation des entreprises.
La privation de travail qui accompagne la pauvreté est, très souvent, corrélée aux situations d’inégalités d’opportunité, auxquelles s’ajoutent les situations de privations matérielles, d’illettrisme et d’isolement social. C’est pourquoi une politique en faveur de l’accès à l’emploi ne saurait être efficace sans le traitement des conditions transversales comme la formation, l’accès aux réseaux professionnels, le transport mais aussi l’accès à des services de soins et d’éducation de qualité, les luttes contre l’illettrisme numérique et les discriminations de tout type.

Cohésion sociale/citoyenneté

La cohésion sociale peut être renforcée en réduisant les inégalités.
La cohésion sociale est l’ensemble des processus qui contribuent à assurer à tous les individus l’égalité des chances et des conditions de vie, l’accès aux droits fondamentaux et au bien-être économique, social et culturel, afin de permettre à chacun de participer activement à la vie de la cité.
La citoyenneté est la reconnaissance d’un individu au sein d’une société. Elle permet un comportement actif et solidaire dans la vie quotidienne et publique, dans le respect des autres et dans l’intérêt général.
Pour prendre conscience de l’attention à porter à son voisinage, chaque citoyen doit pouvoir jouir des mêmes droits que ses voisins. L’équité dans l’accès à des services publics de qualité développe la conscience du respect dû à chacun des membres qui composent le collectif.
C’est pourquoi permettre à tous l’accès aux biens et services de qualité est la clef de la cohésion sociale dans une cité et de la conscience citoyenne de ses habitants.

C’est par exemple :

  • Garantir l’équité du système d’attribution des places en crèche.
  • Rénover et construire des écoles et travailler à la mixité scolaire.
  • Faciliter l’accès à la culture et aux pratiques artistiques.
  • Mettre en place les conditions d’accès à un logement décent.
  • Lutter contre la ségrégation spatiale qui pénalise tous les habitants de certains quartiers.
  • Lutter contre la fracture numérique et accompagner à ses usages.
  • Travailler à une juste répartition spatiale des offres de soins (santé et prévention).
  • Garantir à tous une qualité de vie de proximité (espaces verts, propreté, services…).

Les recherches de terrain suggèrent qu’une partie de la plus grande pauvreté est liée aux inégalités dans l’accès à ces biens et services premiers. La pauvreté est un facteur de discrimination urbaine et sociale dont sont victimes aujourd’hui des pans entiers des quartiers de notre cité et toutes les populations qui y résident.

Ecologie

La lutte contre les inégalités facilite la mise en place des politiques environnementales qui doivent bénéficier à tous.
Des données empiriques récentes publiées par Lucas Chancel dans son ouvrage « Insoutenables Inégalités » (Editions Les petits matins, 2017) révèlent que les populations victimes d’injustice sociale sont également victimes d’injustices environnementales.
Les initiatives visant à réduire inégalités sociales et environnementales doivent se développer dans leur interdépendance et être soutenues autant au niveau local qu’au niveau des états. Elles sont quelquefois portées par des mouvements de la société civile. Par exemple, le mouvement des communs urbains, en défendant les communs (espaces naturels, culturels, etc.), en contestant les accaparements, et en encourageant la participation de tous à la vie de la communauté, vise à favoriser un développement urbain durable et plus intégrateur. Pour Lucas Chancel, il faudrait arrimer cette énergie locale à la boîte à outils traditionnelle de l’Etat et le rôle de la collectivité locale doit donc contribuer à la diffusion de ces outils et plaider pour leur reconnaissance au niveau national.
La conviction que la lutte contre les inégalités constitue aussi un défi écologique est aujourd’hui partagée par un ensemble d’associations et syndicats, de sensibilités et de missions sociales variées.
Une ville comme Marseille peut parfaitement mettre en place des outils favorisant la justice environnementale et la conscience écologique comme par exemple :

  • Restauration scolaire : privilégier l’approvisionnement en fruits et légumes de proximité et/ou bio.
  • Qualité de l’air
  • Multiplier les mesures de contrôle (intérieur et extérieur) des établissements municipaux recevant du public (écoles, crèches, gymnases…etc.)
  • Favoriser l’implantation de marchés de producteurs dans les quartiers.
  • Redonner une place de choix à l’agriculture urbaine.
  • Aménager des systèmes publics de lutte contre la chaleur et des douches publiques.
  • Installer dans la Métropole la gestion publique et démocratique de l’eau potable, de l’assainissement et de l’hygiène sous forme de régies publiques.
  • Orienter la réhabilitation et de la construction de logements à faible empreinte environnementale.

L’éducation à l’écologie est transversale et doit être prise en compte tout au long de la vie, à l’école et dans les structures d’éducation populaire.

Démocratie

Depuis une trentaine d’années et de manière en plus visible récemment, des citoyens les plus pauvres ont basculé, soit dans l’abstentionnisme, soit dans le populisme. Désormais, le risque est que les classes moyennes, soient à leur tour gagnées par la défiance et le découragement.
Plus une société est inégalitaire, plus elle conduit à la pensée extrémiste en s’appuyant sur des stéréotypes.
La lutte contre les inégalités permet donc de restaurer la confiance en la démocratie.
L’accès de tous et de chacun à la vie de la cité doit être un objectif. Un citoyen informé et éclairé devient un citoyen actif, jouissant d’un certain recul de ses préjugés passionnels, issus d’images folkloriques véhiculées par certains médias. Pour Marseille, elle s’associe à la lutte contre les discriminations pour empêcher toute forme de ségrégation, et passe par la mise en place d’outils permanents pour une participation active des citoyens à la vie de la cité, comme par exemple :

  • La mise en place de budgets participatifs.
  • La mise en œuvre d’outils de transparence.
  • L’expérimentation de nouveaux droits de participation citoyenne.

Pour conclure la lutte contre la pauvreté ne saurait se penser sans prendre en compte la richesse qu’apporte une véritable mixité sociale et culturelle. L’école publique en est le socle et le point de départ du « mieux vivre ensemble ». Au-delà de quelques mandats municipaux, l’enjeu scolaire fait le pari d’un avenir meilleur pour les générations futures.

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